samedi 13 mars 2010

La chanson de Trenet

Le batteur tape.
Sur la table.
Un verre avec une spatule.
Et temps, contretemps et solo.
Dix doigts à pianoter la pointe des genoux. Le chien est couché à ses pieds, sourd.
D’un tambour d’infortune, le batteur fait saillir les bosses et les pics d’une chanson pas douce. Un chant lisse sculpté en reliefs escarpés. Coulée d’une radio, c’est la pierre endiablée d’une voix anguleuse qu’il modèle, joyeux. Des rythmiques de pauvre et que rien n’interrompt : sa femme qui se plaint, le chat qui crie famine, ni la crevasse à vif de ses doigts d’ouvrier.
Et temps, contretemps et solo.
Le batteur tape.
Sur la peau d’une caisse, une eau claire et limpide.
De ses mains, de ses pieds, il martèle une cloche, fait tinter les cymbales, excite le Charley de son horlogerie.
Et temps, contretemps et solo.
Le batteur tape.
La peau d’une grosse caisse, sourde comme un alcool, franchit le mur des songes, livre la clé de sons.
Et temps, contretemps et solo.
Dans un roulement, deux temps à ses tempes en tempo, le batteur tape.
Et temps, contretemps et solo.
Le tapeur bat.
Sa femme prise entre deux cymbales. Son chat dans la grosse caisse.
Et le sang sur ses mains échappé des crevasses se mélange à celui des victimes coupables.
Des gouttes de son écarlates, légères, claquent, éclatent, et claquettent une Folle Complainte, la chanson de Trenet, tandis que le chien sourd, pour la première fois goûte avec volupté la joie du mélomane.