mercredi 3 décembre 2008

Présentation de "Rencontres sur les chemins de terre", un livre auquel j'ai participé en tant que conseillère littéraire.

Rencontres sur les chemins de terre, un livre de Roseline Bernat et Penny Millar, paru en juillet 2008, ed.Chemins de Terre

Roseline Bernat,agricultrice à Missègre(11.
Depuis 1985, installée sur la
petite exploitation familiale qu’elle a
développée avec son compagnon. Ensemble, ils y
élèvent 350 brebis et 50 vaches.
Penny Millar, photographe portraitiste,
vit à Highgate, au nord de Londres.
Dans son projet actuel, PhotoVoyage,
elle conduit ses sujets sur le chemin
de la connaissance et de l'estime de
soi. www.photovoyage.co.uk

Rencontres sur les chemins de terre n’est pas un livre de plus sur la ruralité… Ici, pas de nostalgie stérile, pas de belles images pour nourrir notre imaginaire d’un passé qui ne nous appartient plus. Cet ouvrage raconte une histoire, celle de la rencontre improbable entre une photographe anglaise et une bergère écrivain. Leurs chemins se croisent à Missègre,un tout petit village des Hautes Corbières Occidentales. Des mots, des regards s’échangent et une belle amitié commence… Sur les chemins de terre, leurs pas foulent ce même sol chargé d’un vécu que l’une découvre, que l’autre connaît par cœur. Les yeux de Penny Millar disent ce que la bergère n’écrit pas. Les mots de Roseline Bernat éclairent ce que le regard de la photographe n’embrasse pas… Roseline, la bergère, par son analyse juste et simple, parfois incisive, montre ce que vivre de la terre aujourd’hui veut dire… Penny, la photographe, par sa sensibilité intuitive et créative, fait le récit d’un monde rural que nos yeux citadins ne savent plus lire, ni traduire. Ensemble, elles déroulent sous nos yeux la carte d’une terre sauvage et rebelle, une terre des gens de peu qui ont vécu ici, une terre d’accueil pour ceux qui s’y installent… Un pays entre mer et montagne, vu au travers du prisme des mots et des photographies, à la croisée des itinéraires de l’une et de l’autre, la bergère et la photographe, une rencontre sur des chemins de terre.

Françoise Morel

mercredi 19 novembre 2008

A la guerre comme à la guerre, par Françoise Morel

Une colline, la plus simple du monde, nette et crue, lui sert d’horizon. Son regard s’y perd chaque jour un peu davantage. Davantage chaque heure passée s’étire jusqu’à la suivante, se fond dans la précédente. Cela fait longtemps que la contemplation de la colline est devenue son occupation favorite. Une mer aux roulis d’herbe blanche, verte ou jaune, c’est selon la saison, dans laquelle il aime nager, libre dans le ressac de ses pensées. Une houle de souvenirs qui se choquent, s’entrechoquent, s’élèvent en petites vagues et viennent mourir à deux pas de sa maison, léchant le muret de pierre qui entoure le potager. Par delà la colline, il y a la ville lointaine. Théodore s’y rend deux fois l’an pour régler les affaires courantes, celles qu’on ne peut pas traiter par courrier. A contre cœur, à contre vent, il abandonne alors la borde précaire qui lui sert de logis. Lorsqu’il quitte Pineuf, Théodore s’en va pour la semaine et doit tout préparer pour organiser son absence. Les bêtes, largement approvisionnées en fourrage et en eau, pourraient tenir la quinzaine ; les chiens sont laissés en garde au passage, à la ferme voisine de la Pouzanque. Quand il descend à Limoux, Théodore doit aussi se préparer moralement. Il sait qu’il va y trouver tout ce qu’il déteste : le bruit, la foule pressée de ses congénères, l’odeur suffocante des gaz d’échappement et un foisonnement d’images, des publicités flashées sur des panneaux numériques, des enseignes lumineuses aux couleurs criardes, autant de parasites dont il a perdu l’habitude et qui mettent à mal ses défenses sensorielles. Après un passage chez le notaire, le banquier et le quincaillier, lorsqu’il a fini de régler les affaires courantes, Théodore consacre ensuite tout le reste de son séjour à conforter sa misanthropie. Pour cela, il se rend dans les bars, y consomme des cafés, une des rares denrées dont il a du mal à se priver, là-haut à Pineuf, mais dont il refuse, par principe, de faire provision. Car Théodore a beaucoup de principes, il n’a même que ça. Toute son existence est bâtie sur des règles intangibles et non révisables ! C’est ce qui fait sa force, sa dignité. Toujours se tenir droit, ne jamais ployer sous le poids de la vie, si rude soit elle. Il se tient droit aussi quand, accoudé au comptoir, devant un café, il se remplit la tête des sempiternelles fadaises et brèves que lâchent des clients sans éthique ni pensée aucune. Théodore n’aime pas ses semblables, il porte sur eux un jugement sans appel, les méprise et ne consent à les fréquenter que pour s’assurer de leur bêtise. C’est aussi dans les bars qu’il vérifie l’inconsistance de la presse locale. Pour les nouvelles nationales et internationales, il doit se rendre à la Maison de la Presse où il fait le plein de journaux de toutes sortes et de toutes orientations politiques. Après une semaine passée à vérifier que le monde s’affole toujours en vain, conforté dans son choix de vie, Théodore s’en retourne alors à Pineuf. Levé à l’aube, il prend la route qui longe le fleuve, en direction de Saint-Polycarpe et, après une demi-journée de marche, épuisé mais heureux, rejoint enfin sa terre. Pour protéger l’enfant du froid, Ismaël pressait fortement la couverture dans laquelle il l’avait enveloppé. Il portait ce trésor à même les bras, serré contre lui. La petite semblait dormir, ne donnant comme signe de vie qu’un souffle tiède et rendu aigre par le lait qu’une brave femme avait donné, au village voisin, alors qu’il demandait refuge. Par ce froid de novembre, il ne faisait pas bon vagabonder dans un coin perdu comme celui-là. Mais Ismaël avait-il le choix ? En ville, il se serait déjà fait arrêté et on l’aurait conduit dans un Centre de Rétention Administrative. Quant à la petite, ils la lui auraient enlevée et ça, il n’en était pas question. Il avait dit à Maria qu’il ne l’abandonnerait pas et il tenait sa promesse. Ce qu’il lui fallait maintenant, c’était trouver une âme bienveillante qui, en échange de son travail, accepterait de lui donner le gîte et le couvert. Il fallait passer l’hiver, après on verrait.
A Villardebelle, on lui avait indiqué un chemin qui conduisait à une bergerie occupée par un ermite, un dénommé Théodore, un gars qu’était pas d’ici et vivait seul. Un original, un type sans âge, l’avait-on prévenu. Peut-être pourrait-il quelque chose pour lui ? Ici, sur le village, il n’y avait rien à louer, la plupart des maisons étant des résidences secondaires habitées seulement en période de chasse ou de vacances. Et puis, même s’il y avait eu quelque chose, l’inconnu n’avait pas un euro en poche et on a beau être en pays rural, on n’en a pas moins le sens des affaires pour autant ! Ismaël s’était donc retrouvé sur le sentier qui coupe les bois, au dessus du cimetière, et qui rejoint le chemin de la Pouzanque. Il n’avait qu’à suivre tout droit et il tomberait sur le champ de Célestin. A ce moment-là, il lui faudrait prendre sur la droite et grimper le passage que les Martin avaient ouvert récemment. En haut de la côte, il trouverait la maison de Théodore. Les braves gens qui l’avaient renseigné, lui avaient expliqué le chemin en nommant les lieux comme s’ils s’étaient adressés à un gars du pays. Ismaël avait souri, imaginant qu’à leur place, il en aurait fait de même. Du temps où il était encore de quelque part, peut-être lui aussi avait-il indiqué le chemin à un voyageur perdu, avec ce même déni, cette même ignorance de l’étranger que l’on renseigne fort volontiers dans le but secret de le perdre le plus sûrement possible, sinon de le voir déguerpir au plus vite. Cette dernière pensée le rendit un peu triste.
L’endroit vers lequel on l’avait dirigé était désert. Il n’y rencontra qu’une seule bergerie et s’y arrêta pour souffler un peu. Il faisait bon et l’odeur du fourrage ramena Ismaël à son Albanie natale. Il décida de se poser un moment et coucha l’enfant sur un coin de paille sèche. A grand coup de bêlements, les brebis, inquiètes, interrogeaient l’inconnu sur les raisons de sa présence, si bien qu’au milieu même du troupeau inoffensif, Ismaël se sentit encore étranger. Il dut rapidement se remettre en route car déjà lui parvenait le bruit d’un moteur, le quad d’un berger que l’appel des brebis, relayé par l’aboiement des chiens, avait alerté. Il reprit donc sa marche et emprunta un chemin de terre bordé par une végétation méditerranéenne qui éveilla son mal du pays. Des buis, des genêts, des chênes, des pins, des genévriers, du thym et même de la lavande sauvage. A plusieurs reprises, il arrêta sa marche pour caresser les arbres, sentir le parfum fané des plantes aromatiques, froisser les tiges sèches de lavande pour en extraire leur senteur surannée. Enfin, il arriva au champ du dénommé Célestin, franchit la barrière qu’il prit soin de refermer derrière lui et se dirigea vers le passage en pente raide qui devait le conduire jusqu’à la maison de Théodore. La montée l’essouffla tant elle était raide et tant lui pesait la petite. Il faillit, par deux fois, se retrouver à terre car le sol, imbibé par les pluies de la veille, était meuble et glissant. Arrivé sur le plateau, il fut accueilli par un alignement d’arbres dont il ne connaissait pas l’essence, mais qui signifiait que les lieux étaient cultivés. Et, en effet, sur la droite, il aperçut un toit de tuiles et le faîte d’une cheminée. Il gravit une petite pente douce et découvrit, au détour d’un grand chêne, la demeure de Théodore. Elle faisait face à une colline dont il ne connaîtrait le nom que plus tard mais qu’au pays, on appelait communément le Castellas, le château dont il ne restait plus que quelques ruines éparses, dissoutes dans la roche grise du sommet. C’était là l’unique vue qui s’offrait aux yeux, la configuration des lieux constituant un rempart naturel pour celui qui souhaitait se mettre à l’abri des regards. Cette situation rassura d’abord Ismaël pour l’inquiéter aussitôt. Qui pouvait bien habiter dans des solitudes pareilles ? Quel caractère humain pouvait se satisfaire de l’horizon qu’offrait cette seule et unique colline sur laquelle rien ne semblait pouvoir s’accrocher ni se perdre, sinon le regard ? Ismaël le découvrirait bien assez tôt. Pour l’heure, il s’agissait de se mettre à l’abri, lui et la petite. Comme aucun chien n’était venu l’accueillir et que, de la cheminée, ne s’échappait pas de fumée, Ismaël en conclut que son « hôte » était absent. Il commença à maudire les cieux et toutes les divinités qui lui passaient par l’esprit, puis décida de forcer l’entrée du logis. Mais il y renonça rapidement lorsqu’il s’aperçut qu’une clef était restée dans la serrure de la porte latérale, à gauche de l’entrée principale. Il la fit tourner dans sa gâche et s’avança dans le noir d’un vestibule faisant office de remise à bois et débouchant sur la cuisine du modeste logis. Ismaël n’en revenait pas ! La pièce ressemblait à ce que lui décrivait sa mère quand elle évoquait son enfance paysanne dans les Monts Šar. Mais depuis, même en Albanie, un pays pourtant bien plus pauvre que la France, les maisons s’étaient toutes modernisées. Chacun avait l’électricité et possédait un gazinière, un réfrigérateur et parfois même un poste de télévision ! Ici, rien de tout cela. On avait le sentiment, en y pénétrant, que cette maison avait échappé au temps, qu’elle n’avait pas changé depuis deux ou trois cents ans. Pourtant le peu d’objets ou d’ustensiles qui la composait y était rangé méthodiquement et tout semblait en parfait état. Le pied en cuivre de la lampe à huile était lustré ; la louche de bois sculptée à la gouge n’était pas recouverte d’une épaisse couche de poussière ; le tablier suspendu au-dessus du potager de pierre indiquait que la lessive ne datait pas de longtemps. Bien qu’étonné par la désuétude austère des lieux, Ismaël décida de s’y installer et d’attendre le retour de Théodore.



Dès qu’il arrive à l’embranchement de la route de Missègre, bien avant la Pouzanque, les chiens flairent leur maître. Ils s’affolent en jappant de joie et, sans répit, se jettent avec excitation contre la barrière de bois qui les tient enfermés dans le chenil. Claudius, le propriétaire des lieux, sait alors que Théodore est de retour. Il lâche les chiens et s’en retourne à ses affaires. Entre les deux hommes, ce n’est ni de l’amitié ni son contraire, simplement une relation de bon voisinage basée sur l’échange équitable de très menus services, mais jamais ils ne partagent un repas ni même un verre. Jamais ou presque ils ne se disent un mot. Il peut se passer ainsi deux ans sans qu’ils ne se rencontrent jamais et jamais l’un d’entre eux n’ira frapper à la porte de l’autre. Pour vivre ici, il faut accepter de vivre seul. C’est un principe de Théodore que Claudius s’est vu imposer par cet étrange voisin dont il s’est finalement accommodé. Secrètement, il se réjouit même de la discrétion de Théodore. Il aurait pu tout aussi bien tomber sur des voisins peu scrupuleux, ni respectueux de la beauté des lieux. Non, finalement, Claudius n’est pas si mal loti et ce que fabrique son ermite de voisin ne le regarde pas ! Aussi, quand Théodore rentre à Pineuf, Claudius ne s’inquiète-t-il pas de ce qui peut se passer là-haut, ni des cris que l’on entend certains soirs, ni des coups de fusil. C’est Théodore qui tire un sanglier et la bête pleure. C’est Théodore qui effraye des vautours venus rôder autour d’une brebis blessée…
En ce soir de novembre, quand Théodore rejoint son logis, il ne croise donc pas Claudius. Les chiens sont en pleine forme et c’est tout ce qui compte. Demain, ils seront remis au travail et feront avec leur maître le tour de la propriété. Deux fois par an, quand il s’en retourne de la ville, Théodore s’impose une inspection générale et rigoureuse des lieux. C’est sa façon à lui de se les réapproprier. Ainsi, chaque clôture est vérifiée ; les brebis sont triées et comptées ; les lapins, le cochon et les poules font l’objet de la plus grande attention. L’homme contrôle qu’il n’y a pas la maladie ou qu’un renard ne s’est pas introduit dans la place. Théodore déteste les intrus. Il aime l’ordre par-dessus tout et, dès son retour, s’attelle au travail pour que chaque chose retrouve sa place. Après deux ou trois jours de reprise en main, tout redevient calme et limpide à Pineuf et les jours peuvent alors continuer à s’écouler dans l’immobilité du temps.



La petite était affamée. Ismaël cherchait du lait. Il ouvrait le pétrin, l’armoirette, fouillait sous le potager, désespérait de ne rien trouver qui puisse convenir à l’enfant. Il faisait presque nuit et il n’était pas raisonnable de retourner d’où il venait… Finalement, il parvint à la calmer avec du lait de poule : un jaune d’œuf qu’il battit à la fourchette avec un peu de sucre et auquel il ajouta de l’eau. Il espérait qu’elle ne régurgiterait pas ce breuvage un peu lourd pour son petit estomac. Il s’activa ensuite à réchauffer l’atmosphère de cette maison dont les murs de pierres sèches ne jointaient pas. Entre les interstices des parois et le carreau précaire des fenêtres, circulait un vent glacial dont Ismaël ne parvenait pas à se protéger. Il cala la fillette à proximité de la cheminée, en prenant soin de la tenir enveloppée dans sa couverture, puis alluma un feu. Il entreprit enfin de se restaurer, bénissant Théodore d’avoir un garde-manger aussi bien fourni. Dans le cellier de la modeste demeure, il trouva de quoi se préparer un festin de roi ! Jambons, saucisses, pâtés, conserves de tripes, des pieds et paquets, des bocaux de champignons et de haricots, des prunes à l’eau de vie… La petite dormait, l’air s’était réchauffé et ils avaient tous les deux l’estomac plein. Alors Ismaël se détendit. Il jouissait d’avoir pu enfin rassasier une faim qu’il trimballait depuis plusieurs jours et goûtait au confort précaire de cette maison finalement accueillante. Et soudain l’espoir ressurgit… Une semaine s’écoula ainsi, dans la douceur du foyer, sans qu’Ismaël ne s’aperçoive de la fuite des jours. Il connaissait maintenant l’ensemble de la propriété et, sans vraiment s’en rendre compte, prenait racine. Envoûté par les charmes de Pineuf, il finit même par oublier l’existence de Théodore, tout comme son passé de « sans-papiers ». Pour la première fois, Ismaël profitait de cette aubaine qu’est la vie et cette expérience du bonheur trouvait à ses yeux toute sa légitimité, tant elle était naturelle, limpide comme la source qui alimentait le puits. Une vie, la plus simple du monde, nette et crue comme la colline qui lui servait d’horizon.



La fumée blanche qui s’échappait par la cheminée mit Théodore en alerte. Quelqu'un s’était introduit dans son logis et, non content d’en avoir violé l’entrée, avait osé y faire du feu. Derrière les fenêtres, une ombre se mouvait si tranquillement, à l’intérieur de la maison, qu’il crût, un bref instant, s’être trompé d’histoire. Soudain, Théodore perdait son identité et, dépossédé du sentiment même de son existence, renouait avec des émotions qu’il avait depuis longtemps chassées de son esprit. Violente comme une gifle balancée en pleine face, la Peur ressurgissait. Puis, toutes sortes d’interrogations affluèrent en cascade dans son esprit troublé, son être tout entier ébranlé. Quelqu’un l’avait bel et bien effacé de Pineuf, quelqu’un l’avait gommé des lieux. Ouverte aux quatre vents, Pineuf redevenait cette pauvre maison de berger que, plus de quarante-quatre ans plus tôt, il avait faite sienne. Des épousailles placées sous le signe du désespoir le plus profond, un vide moral dans lequel l’avait précipité une « Guerre sans nom », une guerre qui n’était pas la sienne, dans un pays qui n’était pas le sien. Il s’était retrouvé débarqué à Marseille, après vingt-sept mois de Service Militaire en Algérie et, comme un certain nombre d’appelés démobilisés, ceux qu’on nommait « les inconsolables », n’avait pas souhaité retourner dans sa famille ni même la contacter. Les horreurs qu’il avait connues, pendant ce qu’il était convenu d’appeler « une opération de pacification », ne lui avaient pas permis de reprendre le cours de sa vie telle qu’il l’avait laissée à l’automne 1959. Pineuf, il y était venu par le plus grand des hasards, de ceux qui orientent le cours d’une vie sur un coup de tête ou une décision hâtive. Une promesse faite à un soldat, un camarade d’infirmerie qui avait laissé sa peau dans cette « sale guerre » et qui, avant de mourir, avait chargé Théodore de ramener ses pauvres effets ainsi qu’un message d’adieu à son grand-père. Le vieil homme, dans sa peine, avait alors reporté toute son affection sur Théodore qui l’avait acceptée sans plus de façon, puis avait partagé la vie de cet aïeul d’adoption et hérité de ses biens, à sa mort. Depuis, il était seul maître des lieux et, en véritable ermite, dirigeait Pineuf comme bon lui semblait. Aussi, l’intrusion de l’étranger sur ses terres réveilla-t-elle en lui un violent sentiment de dépossession, le souvenir ravivé de souffrances dont il avait tenté de se libérer pendant toutes ces années de solitude. C’était plus qu’il ne pouvait supporter… Bien décidé à agir, Théodore se dirigea vers sa borde de Pineuf.


Sans éveiller les soupçons de l’intrus, Théodore s’introduit à pas de loup dans la remise à bois. Il décroche un des fusils qu’il a coutume de suspendre derrière la porte de la cuisine, se saisit de munitions et attend le moment propice pour le charger. A la faveur d’un miaulement suraigu qu’il n’identifie pas comme étant le cri d’un enfant, mais attribue à un de ses chats, il enclenche l’arme qu’il tient fermement dans sa main gauche et actionne la poignée de la porte. Puis, avec toute la violence de sa hargne, il l’ouvre, bondit dans la pièce, renverse les chaises et la table placées sur son parcours, piétine la vaisselle dans un fracas assourdissant qui fait fuir les chats, hurler la petite, et se jette sur Ismaël comme un lynx sur sa proie. Renversé, les yeux ébahis d’incompréhension, Ismaël se retrouve au sol, couché sous le corps de Théodore dont il ne perçoit que l’haleine, un souffle brûlant de haine.
- Tu bouges pas ou je te défonce le crâne avec la crosse de mon fusil, parvient à articuler Théodore que l’émotion terrasse. Ses paupières lui envoient des petits jets de lumières qui, comme des grains de sable, l’empêchent d’ouvrir les yeux. Dans l’obscurité de sa peur, défilent les images anciennes de la mutilation et toute la souffrance rejaillit, l’inonde, le paralyse. Ismaël profite alors de la faiblesse de son assaillant pour prendre l’avantage et, d’un puissant coup de reins, renverse la situation. C’est maintenant Théodore qui gît au sol, sous l’entrave des mains nues et des genoux solides de cet homme bien plus jeune et vigoureux.
- Tenez-vous tranquille, ordonne Ismaël dans un français irréprochable mais teinté d’un fort accent étranger. Je ne vous veux pas de mal, j’ai juste besoin de me réfugier ici avec la petite…
La voix autoritaire mais calme de l’étranger atténue la peur de Théodore, lui rend son courage. Il ravale alors un peu de sa douleur et reprend son souffle. Enfin, il rouvre les yeux et découvre le visage de l’intrus. Des yeux noirs de jais, scintillants d’intelligence mais une bouche de souffrance et de désespoir, l’expression affamée d’un pauvre hère qui sait ce que vivre coûte que coûte veut dire.
- Je m’appelle Ismaël, je suis albanais et je dois me cacher. J’ai besoin de votre aide, supplie l’étranger, alors même qu’il domine la situation et maintient toujours le vieil homme immobile.
- Je me fiche de tes histoires, halète Théodore, et puis, j’ai des principes, les parasites, je les élimine, moi ! Tu ne savais pas, en venant ici que tu te jetais dans la gueule du loup ! Tu vas le regretter, tu vas payer pour tous les autres. C’est la guerre, mon gaillard !
- Ce n’est pas la guerre, enfin pas celle que vous croyez, grand-père ! Je ne partirai pas parce que je ne peux pas, explique Ismaël qui resserre calmement son étreinte. J’ai une enfant à nourrir, j’ai juré à sa mère que je la protégerai. Je dois passer l’hiver ici, après je m’en irai, c’est promis… Je peux aider à la ferme, je suis fort…
- T’es de la vermine, réitère Théodore et en plus, t’es un gris ! Et je les connais, moi, les gris… J’en ai bouffé en Algérie, je sais comment ils font et tu ne me prendras pas le peu de vie qu’ils m’ont laissé. Quand tu vas te dégager, et tu vas bien être obligé de le faire, tu n’auras le temps de rien, je t’aurai déjà tué …
- Soyez raisonnable, on devrait pouvoir s’arranger. Et puis, je ne suis pas un gris, comme vous dites ! Vous vous trompez d’histoire… Je ne suis pas responsable de vos ennuis passés.
- Ni moi des tiens, salaud ! S’enhardit Théodore, en essayant vainement de se dégager.
- Vous allez vous calmer, oui ? Avec ou sans fusil, je suis plus fort que vous. Nous allons trouver un arrangement, assis bien sagement autour de la table. Vous me raconterez votre histoire et moi, la mienne. Je suis sûr qu’on va pouvoir s’entendre…
Comme Théodore ne répond pas, Ismaël prend son silence pour un acquiescement. Il desserre son emprise et entreprend de se redresser. Il glisse sur le côté, se tient à genoux tout en maintenant fermement les poignets de Théodore qui a lâché son arme. Avec lenteur, Ismaël s’accroupit puis,d’un bond se redresse, entraînant avec lui Théodore qu’il aide ainsi à se relever. Théodore résiste d’abord, puis accepte de s’asseoir à la table de l’étranger. Ismaël relâche sa vigilance, il a confiance en l’homme, il pense qu’ils vont pouvoir se comprendre.
- C’est pas mieux comme ça ? Je comprends votre colère, commence-t-il à expliquer. J’aurais agi comme vous si on s’était introduit chez moi. Je vous l’ai dit, je n’ai pas eu le choix. Il faisait froid, la petite avait faim, la porte était ouverte…
Mais il n’a pas le temps de poursuivre. Théodore s’est jeté sur le fusil resté à terre et va pour s’en emparer. Alors, dans un réflexe que tout albanais, soumis à l’impitoyable vendetta, acquiert dès l’enfance, Ismaël saute sur ses deux pieds et bondit sur Théodore qu’il renverse, puis fait rouler à terre. Un coup de feu part qui met rapidement fin au combat.
- A la guerre comme à la guerre…, gémit Ismaël, la voix hachée de sanglots, le front dans ses mains rouges du sang de Théodore qui gît désormais inerte à ses pieds.
Et, de nouveau, la petite se met à pleurer, rompant avec le silence de mort qui, un court instant, a suivi le fracas de la détonation.



Ces derniers temps, quand il descend à la ville, Théodore est accompagné par une fillette qui court devant lui et s’égaille sur le chemin en essayant d’attraper des papillons. Tombée du ciel, cette enfant est une bénédiction pour un vieil ermite comme lui ! Depuis que sa petite fille vit à Pineuf, il a pris un coup de jeune et, même s’il se vêt toujours à l’identique et porte sa sempiternelle barbe hirsute, il semble plus gaillard qu’avant. Son regard n’est plus le même, ses yeux noirs de jais brillent comme du temps de sa jeunesse. Et ce n’est pas Claudius qui va s’en plaindre ni chercher à élucider ce mystère de la renaissance de son voisin ! Théodore semble un autre homme et voilà tout ! Grâce à la gamine, il s’ouvre aux autres, se fend d’un sourire, salue de la main et s’aventure même parfois à engager la conversation pour parler de la pluie et du beau temps. S’il porte, dans la voix, cet étrange accent qu’on dirait venu d’ailleurs, c’est qu’il s’était tu depuis trop longtemps… Par bonheur, la petite lui a rendu la parole ! Une vraie transformation pour cet homme un peu original et sans âge qui n’a pour horizon qu’une colline, la plus simple du monde, nette et crue, mais sur le flanc de laquelle s’accroche désormais une petite mourane*.

* en Albanie,désigne un tumulus de pierres sèches recouvrant une sépulture.

lundi 17 novembre 2008

Alors, heureuse ? par Françoise Morel

- Je ne suis pas heureuse avec toi, lui ai-je déclaré de but en blanc.

Je l’ai fauché pile au moment où il s’apprêtait à franchir la porte pour aller bosser. Son visage pourpre d’ordinaire a viré au vert, il m’a regardé avec des yeux de colère et de profond chagrin, puis, sans ajouter un mot, est parti en claquant la porte. Je lui ai couru derrière.

- Oh, tu me dis rien !

Je l’ai rattrapé, accroché par la manche, forcé à s’arrêter.

- Oh, putain, mais dis quelque chose !

-Qu’est-ce que tu veux que je te dise !

- Tu pourrais peut-être te demander pourquoi je te dis ça !

- T’es pas heureuse, t’es pas heureuse. Y a rien à dire.

Il s’est dégagé de mon emprise et a continué son chemin. Je l’ai regardé s’éloigner. J’avais la gorge serrée, une envie de crever, de le crever aussi. Je suis rentrée à la maison et j’ai fais la vaisselle du petit déj en écoutant les sempiternelles mauvaises nouvelles diffusées à la radio. Pendant un moment, tout est redevenu ordinaire et j’en ai presque oublié notre altercation. J’ai beaucoup de mal ces derniers temps à lier les menus évènements de mon quotidien avec les grandes réflexions de mon quotidien aussi. Là, en fait de réflexion, c’était plutôt une déclaration. Après le ménage machinal du matin, j’ai fini par douter de la réalité de ce qui venait de se passer. J’ai continué dans cette voie de scepticisme aigu dont j’ai le secret et j’ai fini par tout gommer de ma mémoire. Pourquoi lui aurais-je dit une chose pareille ? C’est avec moi que je ne suis pas heureuse, pas avec lui. J’ai beaucoup réfléchi encore et la matinée, s’est écoulée sans que je m’en aperçoive. J’ai beaucoup bu de café et fumé de cigarettes. Bon, et pourquoi je ne serais pas heureuse ? J’ai deux enfants magnifiques, un mari qui m’aime, un gentil chien, des beaux-parents et des parents formidables, aussi généreux qu'originaux. J’ai une jolie maisonnette et beaucoup d’amis. Seulement voilà, je ne suis pas heureuse !
C’est dit et puis après ? Dire ou ne pas dire, qu’est-ce que ça change ? Rien. Et, là, j’ai commencé à regretter de lui avoir fait part de mes états d’âme. Pour rattraper le coup, je me suis mise à faire à bouffer. J’y ai passé tout le reste de la journée. S’occuper les mains, ça libère la tronche aussi, surtout cuisiner et comme en plus je ne suis pas trop douée, je dois beaucoup réfléchir à ce que je fais. Finalement, ça a tellement monopolisé mon énergie que j’ai fini par oublier que je n’étais pas heureuse. Je crois même que j’ai ressenti de la joie quand ma tourte aux poireaux, bien dorée et parfumée à souhait, est sortie du four. J’ai mis la table pour deux et comme il était six heure cinq, je me suis servi un verre de Chardonnay que j’ai savouré en écoutant un disque de Leprest. Puis je me suis tout de même demandé s’il allait rentrer. Après ce que je lui avais dit ce matin, je pouvais m’attendre à une réaction de sa part, un retard, une sale tronche en arrivant. Eh bien non, pas du tout ! Il est rentré à l’heure habituelle et n’a pas fait la moindre allusion à ce qui s’était passé le matin. Il était même plutôt de bonne humeur, content de sa journée. Il s’est servi un blanc aussi et j’en ai repris un pour l’accompagner. Au troisième verre, j’ai voulu m’excuser pour ce matin ; je ne pensais pas ce que je disais, c’était pas à cause de lui que j’étais malheureuse, mais à cause de moi.
Il m’a dit que c’était pas grave, qu’il avait l’habitude, après vingt ans de vie commune, de me voir déraper de temps en temps et que ça pouvait arriver à tout le monde. Il m’a dit que c’était sans doute encore cette histoire avec ma sœur qui me chilounais. On était d’accord. Je devais me débarrasser de mes vieilles casseroles et pourquoi pas consulter un psy. Oui, mais c’est délicat d’en trouver un bon qui vous assomme pas de médocs. Sans compter que je prends déjà des antidépresseurs… Dans l’enthousiasme de la conversation, j’ai allumé une cigarette et là, ça s’est gâté. Depuis qu’il a arrêté de fumer, il supporte plus trop l’odeur de la clope et je le comprends. Je suis sortie dans la rue. Il m’a dit qu’avec ce que je buvais, ce que fumais et sans compter les cachetons, ça faisait beaucoup et que j’allais pas être malheureuse longtemps parce que morte, je n’aurai plus d’états d’âme. Je lui ai dit que ça n’allait pas durer, que c’était un mauvais passage. Il m’a rétorqué que ça durait depuis un moment déjà et après, on a mangé. On a bu encore à table, mais cette fois du rouge, le merlot de la coopé. Après j’ai débarrassé, j’ai encore fumé une cigarette dehors. Je suis rentrée, j’étais crevée. Lui aussi avait un tête de fatigué. Et c’est là que ça a encore dérapé. J’ai eu l’inélégance de dire :

- On va se coucher ?

- Tu vas te coucher si tu veux, moi, j’ai rien décidé encore !

- Excuse-moi, je vais me coucher. J’ai pas dit ça pour te donner un ordre. T’avais l’air crevé voilà, c’est tout. Après vingt ans de vie commune, tu devrais savoir que …

- Je fais un peu ce que je veux !

- Bien sûr, tu fais ce que tu veux ! Mais tu me fais chier là, à la fin ! C’que t’es soupe au lait depuis que tu as arrêté de fumer !

- Soupe au lait, toi-même !

- Bon, allez, bonne nuit !

Je suis montée me coucher, j’avais les boules. Je n’ai pas eu de mal à m’endormir, le vin, ça ensuque et c’est bien pratique pour ça. J’aime dormir car j’oublie tout. Je ne l’ai pas entendu se coucher mais vers quatre heures du matin, je me suis réveillée. Il ronflait à mes côtés. J’ai tourné et retourné dans le lit, je n’ai pas réussi à me rendormir. Je l’ai un peu maudit intérieurement, mais pas trop, parce que finalement, force était de constater que je l’aimais.
Mais cette évidence n’a pas suffit à me détendre ni à me rendormir. Je me suis levée sur la pointe des pieds et j’ai essayé de ne pas faire craquer l’escalier. Je suis descendue au rez-de-chaussée et j’ai fais couler un café. Puis, j’ai allumé l’ordi et j’ai commencé à écrire :

« - Je ne suis pas heureuse avec toi, lui ai-je déclaré de but en blanc. »

vendredi 14 novembre 2008

La Remorque , par Françoise Morel

La soirée avait été formidable. On avait bu, parlé de choses et d’autres, le couscous était délicieux, les gamins semblaient contents, surtout le plus jeune qui était arrivé à faire tirer un peu plus tard que de coutume, alors qu’il y avait école le lendemain. Bref, on était sur le seuil de la porte, on s’embrassait, on se verrait demain…En rejoignant le Scudo dans lequel les gosses s’étaient déjà installés, Il m’a dit :

- ça serait bien si cette remorque était vidée de son bois !

- Demain si tu veux, lui ai-je répondu. Pas le matin, parce que je descends faire des courses à Limoux, mais dans l’après-midi, si tu veux…

On est rentré dans la voiture et j’ai démarré. C’est toujours moi qui conduis quand on rentre le soir, au prétexte que j’ai moins bu, mais ça, c’est à vérifier…

- Je la voudrais pour demain matin, ça fait quinze jours qu’elle est pleine et je commence à en avoir marre ! A-t-il repris tandis qu’on roulait en direction de la maison.

- D’abord, ça fait pas quinze jours, mais à peine une semaine ! Et puis, je veux bien la vider, mais je sais pas l’atteler à la voiture et t’étais pas là toute la semaine dernière…

- Tu sais pas atteler ?

- Ben non, j’ai jamais fait !

- Bon, eh bien, demain matin, je te l’attelle.

- Pas le matin, je t’ai dit, je descends à Limoux !

- Mais, moi j’en ai besoin le matin !

- D’abord, t’en as pas besoin, c’est ton père qui vient juste de te dire ça maintenant et tu me prends la tête ! Bon, d’accord, j’amène le petit à l’école, je reviens vider la remorque, après je descends à Limoux et à onze heures, je remonte faire à bouffer pour être à midi à l’heure de la sortie des classes ! Tu veux pas non plus que je me mette un balai dans le cul ?

C’est à ce moment-là que la conversation a viré à l’aigre…Il faut dire que je manque cruellement de tact ! Je devrais toujours aller dans le sens du poil et ça, j’y arrive pas. Pourtant, je sais par expérience et ce depuis longtemps que ça ne sert à rien de s’énerver, surtout quand on sort d’un repas bien arrosé et qu’on a la journée derrière soi.

- Parce que tu crois peut-être que je m’amuse toute la journée, moi ?

- J’ai pas dit ça, mais, voilà, je fais aussi Tout pour que Tout aille le mieux pour Tout le monde et j’ai tout de même le droit de m’organiser un peu… C’est pas parce que je « travaille pas » que je dois satisfaire tous tes caprices. Si ton père t’avait pas demandé la remorque, tu ne t’en serais pas soucié ! Il peut attendre demain après-midi, non ? Il est à la retraite que je sache !

- C’est bon, je la viderais moi, m’a-t-il gueulé dessus.

- Oh ! Tu ne me parle pas comme ça, s’il te plaît !

- Je te parle un peu comme je veux et puis, arrête aussi de dire tout le temps que depuis qu’on vit ici, je commence à ressembler à un rural ! C’est m’importe quoi et ça m’agace vraiment !

- Je dis ça pour déconner, mais, tout bien réfléchi, c’est pas si faux!

- Arrête, s’il te plaît !

On était arrivé à la maison. J’ai ouvert la porte, dit aux enfants d’aller au lit et j’ai repris la conversation exactement où il l’avait laissée.

- Ben quoi, c’est vrai, t’es un vrai macho de merde ! Tu te rends compte que depuis cinq minutes tu me prends la tête avec une histoire de remorque que j’ai eu le malheur de charger de petit bois pour que l’hiver prochain on ait de quoi allumer le feu !

- Et toi, tu te rends pas compte que je travaille dix heures par jours et que je peux pas tout assumer !

- Ne commence pas avec ça ! Si t’es pas capable de tenir le coup, fais autre chose ! C’est toi qui l’as voulue cette menuiserie, non ?

- Bon je vais me coucher, m’a-t-il répondu et il est parti furibond, en claquant la porte, sans même aller embrasser les enfants, ni rien !


J’ai chargé le poêle à bois, mis les verres au lave-vaisselle, couché le chien après l’avoir fait pisser, suis montée embrasser les jeunes, me suis lavée les dents et suis rentrée dans la chambre. Il était déjà couché à lire une bd. J’ai pris mes affaires pour demain et suis allée nicher sur le canapé. Réveillée à quatre heures, j’ai attendu qu’il fasse jour en écrivant un peu, buvant du café et fumant des clopes. C’était la deuxième et sans doute meilleure solution ! Au début, j’avais pensé me tirer carrément, histoire de lui montrer que, puisque je ne sers pas à grand chose, autant m’en aller. Mais je l’ai pas fait parce que j’en suis incapable ! C’est aussi simple que ça et ce n’est pas par manque de courage, mais parce qu’au fond, j’en ai pas envie !

Il est maintenant cinq heures vingt-cinq du matin, dans une demi-heure, je pourrais aller chercher cette foutue remorque… Je me démerderai bien pour l’atteler, le petit m’a expliqué hier soir comment il fallait faire. Il est dégourdi ce gosse, comme son père ! Pourvu seulement qu’il n’ait pas son caractère…

mercredi 12 novembre 2008

L'enfant et la souris

L’enfant prend la souris
Il veut percer à jour
Le mystère de la vie
De ce corps affolé
Entre ses doigts serrés
Sentir le sang qui court
Dessiner les contours
De sa main potelée

L’enfant prend la souris
Il sent battre le cœur
De la petite vie
Qu’il veut crever de peur
Il va de ses doigts gourds
Enfoncer le velours
Et, d’un grand coup de Bic
Achever le martyr

L’enfant sent la souris
S’amollir doucement
Tandis qu’il entreprend
D’exécuter son plan
Mais une porte claque
Qui le fait sursauter
Lâcher la pointe à bille
Le stylo sur le sol

C’est sa mère en rentrant
Qu’a fait claquer le vent
D’une fenêtre ouverte
Elle passe une tête
Dans la chambre d’enfant
Trouve son chérubin
Tendrement affairé
A caresser la bête


Du rongeur le dégoût
L’emporte sur la peur
Elle saisit par le bras
L’enfant, le précipite
En bas de l’escalier
Sur le sol atterrit
Tandis que de sa main
S’échappe la souris