vendredi 14 novembre 2008

La Remorque , par Françoise Morel

La soirée avait été formidable. On avait bu, parlé de choses et d’autres, le couscous était délicieux, les gamins semblaient contents, surtout le plus jeune qui était arrivé à faire tirer un peu plus tard que de coutume, alors qu’il y avait école le lendemain. Bref, on était sur le seuil de la porte, on s’embrassait, on se verrait demain…En rejoignant le Scudo dans lequel les gosses s’étaient déjà installés, Il m’a dit :

- ça serait bien si cette remorque était vidée de son bois !

- Demain si tu veux, lui ai-je répondu. Pas le matin, parce que je descends faire des courses à Limoux, mais dans l’après-midi, si tu veux…

On est rentré dans la voiture et j’ai démarré. C’est toujours moi qui conduis quand on rentre le soir, au prétexte que j’ai moins bu, mais ça, c’est à vérifier…

- Je la voudrais pour demain matin, ça fait quinze jours qu’elle est pleine et je commence à en avoir marre ! A-t-il repris tandis qu’on roulait en direction de la maison.

- D’abord, ça fait pas quinze jours, mais à peine une semaine ! Et puis, je veux bien la vider, mais je sais pas l’atteler à la voiture et t’étais pas là toute la semaine dernière…

- Tu sais pas atteler ?

- Ben non, j’ai jamais fait !

- Bon, eh bien, demain matin, je te l’attelle.

- Pas le matin, je t’ai dit, je descends à Limoux !

- Mais, moi j’en ai besoin le matin !

- D’abord, t’en as pas besoin, c’est ton père qui vient juste de te dire ça maintenant et tu me prends la tête ! Bon, d’accord, j’amène le petit à l’école, je reviens vider la remorque, après je descends à Limoux et à onze heures, je remonte faire à bouffer pour être à midi à l’heure de la sortie des classes ! Tu veux pas non plus que je me mette un balai dans le cul ?

C’est à ce moment-là que la conversation a viré à l’aigre…Il faut dire que je manque cruellement de tact ! Je devrais toujours aller dans le sens du poil et ça, j’y arrive pas. Pourtant, je sais par expérience et ce depuis longtemps que ça ne sert à rien de s’énerver, surtout quand on sort d’un repas bien arrosé et qu’on a la journée derrière soi.

- Parce que tu crois peut-être que je m’amuse toute la journée, moi ?

- J’ai pas dit ça, mais, voilà, je fais aussi Tout pour que Tout aille le mieux pour Tout le monde et j’ai tout de même le droit de m’organiser un peu… C’est pas parce que je « travaille pas » que je dois satisfaire tous tes caprices. Si ton père t’avait pas demandé la remorque, tu ne t’en serais pas soucié ! Il peut attendre demain après-midi, non ? Il est à la retraite que je sache !

- C’est bon, je la viderais moi, m’a-t-il gueulé dessus.

- Oh ! Tu ne me parle pas comme ça, s’il te plaît !

- Je te parle un peu comme je veux et puis, arrête aussi de dire tout le temps que depuis qu’on vit ici, je commence à ressembler à un rural ! C’est m’importe quoi et ça m’agace vraiment !

- Je dis ça pour déconner, mais, tout bien réfléchi, c’est pas si faux!

- Arrête, s’il te plaît !

On était arrivé à la maison. J’ai ouvert la porte, dit aux enfants d’aller au lit et j’ai repris la conversation exactement où il l’avait laissée.

- Ben quoi, c’est vrai, t’es un vrai macho de merde ! Tu te rends compte que depuis cinq minutes tu me prends la tête avec une histoire de remorque que j’ai eu le malheur de charger de petit bois pour que l’hiver prochain on ait de quoi allumer le feu !

- Et toi, tu te rends pas compte que je travaille dix heures par jours et que je peux pas tout assumer !

- Ne commence pas avec ça ! Si t’es pas capable de tenir le coup, fais autre chose ! C’est toi qui l’as voulue cette menuiserie, non ?

- Bon je vais me coucher, m’a-t-il répondu et il est parti furibond, en claquant la porte, sans même aller embrasser les enfants, ni rien !


J’ai chargé le poêle à bois, mis les verres au lave-vaisselle, couché le chien après l’avoir fait pisser, suis montée embrasser les jeunes, me suis lavée les dents et suis rentrée dans la chambre. Il était déjà couché à lire une bd. J’ai pris mes affaires pour demain et suis allée nicher sur le canapé. Réveillée à quatre heures, j’ai attendu qu’il fasse jour en écrivant un peu, buvant du café et fumant des clopes. C’était la deuxième et sans doute meilleure solution ! Au début, j’avais pensé me tirer carrément, histoire de lui montrer que, puisque je ne sers pas à grand chose, autant m’en aller. Mais je l’ai pas fait parce que j’en suis incapable ! C’est aussi simple que ça et ce n’est pas par manque de courage, mais parce qu’au fond, j’en ai pas envie !

Il est maintenant cinq heures vingt-cinq du matin, dans une demi-heure, je pourrais aller chercher cette foutue remorque… Je me démerderai bien pour l’atteler, le petit m’a expliqué hier soir comment il fallait faire. Il est dégourdi ce gosse, comme son père ! Pourvu seulement qu’il n’ait pas son caractère…

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