dimanche 18 mars 2012

Un pays de lumière / Janvier 2012


La seule chose qui me rattache encore au passé, c’est la cigarette.
Je fume et ça fait le lien avec avant.
Avec moi.
Avant.
Je fume et c’est toujours moi.
Bien moi.
Je tire sur un clope et je me sens exister.
Entre deux tiges, je déambule.
Ici et maintenant.
Sans trop bien comprendre qui je suis.
Parce qu’avant, c’était pas ici.
C’était dans un pays de lumière.
Avant.
Une lumière éblouissante, indécente, brûlante, chaude, plus chaude que le bout incandescent de ma cigarette.
Quand j’aspire la fumée, c’est pour voiler la lumière, celle qui n‘est plus, celle étriquée qui me donne à béqueter quelques miettes de lumière, des restes de lumière, de ridicules déchets de lumière que je ne jette pas même au chien tant ils sont rares, ridicules.
Misérables déchets de lumière.
Inutile lumière, hideuse, inachevée qui referme la porte sur un gris de fumée, la mienne, celle que j’exhale voluptueusement pour me souvenir d’elle, éblouissante, indécente, brûlante, chaude, plus chaude que le bout incandescent de ma cigarette.
J’aspire le regret d’avant et je recrache.
Je recrache sur tous ceux qui m’emmerdent, ceux que ça dérange, la fumée…
J’adore ça, recracher la fumée en longues goulées voluptueuses dans leur face de rats bien-pensants que c’est mauvais pour la santé.
Ma santé ?
Elle s’en est allée avec la lumière.
Sans la lumière, la vraie, je ne marche pas, je tâtonne.
Je ne vois pas, je devine.
Je ne sens pas, j’imagine.
Je n’entends pas, assourdie par un cri tout dedans qui déchire mes tympans mais ne veut jamais expirer sinon au travers du filtre silencieux de la fumée.
Je rejette la fumée dans leur face de rats, les bienheureux qui n’ont pas ce besoin de lumière ni celui de l’ombre exquise qu’elle convoque aux heures les plus lourdes de l’été.
Les rats, ils n’ont pas mal à la lumière ni ne ressentent ce plaisir d’enfumer, de voiler leurs jours dans les délices d’une tige.
Quand ils toussotent discrètement, je m’enquiers d’eux.
C’est la fumée de ma cigarette ?
Alors, je fais mine d’ouvrir la fenêtre.
Non, rien à voir avec la fumée : ils ont encapé un rhume.
Ils redoutent bien plus le froid du dehors, l’air glacé de l’hiver que la fumée.
Ils ont peur de mourir.
Pas moi.
Ou alors seulement si on m’enterre ici, dans ce pays sans lumière.
Moi, je convoque la mort dès le lever.
Dès le lever, je fume et j’attends la lumière, celle qui ne vient jamais.
La lumière éblouissante, indécente, brûlante, chaude, plus chaude que le bout
incandescent de ma cigarette.

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